Des nouvelles du loup dans les Vosges bas-rhinoises

Des nouvelles du loup dans les Vosges bas-rhinoises

Depuis la première détection d’un loup (Canis lupus lupus) dans la haute vallée de la Bruche, le 28 mai 2019 sur la commune de Ranrupt (67), le Réseau loup/lynx piloté par l’Office Français de la Biodiversité (OFB) a renforcé le suivi de la présence de l’espèce dans ce secteur dit « du Champ du Feu », notamment grâce à un dispositif de piégeage photographique et à la collecte de matériel biologique. Plusieurs indices ont ainsi témoigné de la présence régulière de l’espèce sur le secteur entre mai et décembre 2019.

Le 12 décembre 2019, des correspondants du Réseau loup/lynx découvrent une carcasse de chevreuil fraichement tuée et consommée sur la commune de Belmont (67). Ils profitent de la neige pour partir sur la piste du prédateur. La proie comme la piste présentent toutes les caractéristiques du loup. A cette occasion, ils collectent deux échantillons précieux pour le suivi génétique, un excrément et un échantillon d’urine. Ces prélèvements ont été confiés au laboratoire Antagène, prestataire du Réseau pour les analyses génétiques. Les résultats obtenus tout récemment livrent plusieurs informations qui renseignent sur l’origine et l’histoire de cet individu :

  • L’individu détecté au Champ du Feu est un loup mâle de lignée italo-alpine (w22). Cette lignée est classiquement observée en France depuis le retour de l’espèce dans les années 90. Elle est caractéristique de la population italo-alpine de Loup gris (Canis lupus lupus) retrouvée de façon spécifique en Italie, en Suisse et en France.
  • Cet individu était déjà connu du Réseau (identifié avec la référence « S60-27 »). Il avait été identifié pour la première fois en novembre 2018 dans la vallée de la Maurienne en Savoie (73). Cette nouvelle détection caractérise ainsi un mouvement de dispersion d’au moins 350 km depuis le nord des Alpes (Savoie) vers les Vosges centrales (Bas Rhin) dans le courant de l’année 2019.
  • L’analyse de son profil génétique révèle qu’il s’agit d’un hybride de première génération. Compte-tenu de son origine géographique, cet animal est très probablement issu d’une reproduction entre un chien et une louve détectée en 2017 dans la vallée de la Maurienne grâce au monitoring génétique continu réalisé par le Réseau depuis une vingtaine d’années.

Le Réseau Loup-lynx adresse ici ses très sincères remerciements à l’ensemble de ses correspondants qui assurent la collecte de données de terrain en continu et sur tout le territoire national, et contribuent ainsi activement au suivi et à l’acquisition de connaissances sur les populations françaises de loup et de lynx.

Un grand merci tout particulier à la chienne Laïka et son maître, notre correspondant Simon Scheppler. Le flair de Laïka l’a mis sur la trace de la carcasse de chevreuil, ce qui lui a ensuite permis de suivre la piste du loup avec son collègue Frédéric Preisemann, et enfin de collecter crotte et urine, que les analyses génétiques ont finalement fait parler. Sans cette chaîne d’acteurs qui commence par une truffe, l’histoire de cet individu via le massif des Vosges n’aurait pas pu nous être révélée…

Ces résultats viennent corroborer et compléter l’information communiquée par l’association « Observatoire des Carnivores Sauvages » (OCS) (Dernières Nouvelles d’Alsace du 15/04/2020). Sur la base de l’analyse génétique d’un échantillon de la même source, l’OCS indiquait avoir mis en évidence que cet individu était un loup mâle de lignée italo-alpine, ce que confirment nos propres analyses. L’OCS indiquait par ailleurs que cet individu aurait été retrouvé mort le 16 janvier 2020 à proximité de Mayence (Rhénanie-Palatinat), victime d’une collision routière. Compte-tenu des différentes sources d’information considérées, une vérification auprès des organismes concernés parait nécessaire pour confirmer qu’il s’agit bien du même animal.

Schéma illustratif des déplacements du loup mâle S60-27, depuis la Savoie vers les Vosges entre 2018 et 2020

La présence d’un animal seul, éloigné des zones où l’espèce est installée, est caractéristique des individus en phase de dispersion. Ce phénomène intervient deux fois dans l’année, au printemps et à l’automne. Ainsi, en octobre-novembre les jeunes nés au printemps prennent pleinement leur place au sein du groupe, contraignant d’autres individus à quitter la meute pour chercher un nouveau territoire où s’établir. En février-mars, les subadultes qui ne peuvent se reproduire au sein de la meute dominée par le couple reproducteur, quittent leur lieu de naissance en quête d’un partenaire sexuel. Ces individus en phase de colonisation, âgés de 1 à 3 ans, peuvent séjourner plusieurs mois dans un secteur avant de le quitter, et peuvent parcourir ainsi plusieurs centaines de kilomètres en quelques mois avant de se fixer. Ils participent ainsi à l’expansion spatiale de l’espèce.

Le modèle de colonisation par « bonds » est caractéristique du loup. Le nouveau territoire d’installation peut être séparé de la meute d’origine de plusieurs dizaines voire centaines de kilomètres, laissant des espaces vides qui peuvent être colonisés par la suite. Ceci explique notamment certaines observations isolées, loin des zones de présence permanente connues. La rapidité de déplacement et la discrétion de cette espèce expliquent qu’elle peut facilement passer inaperçue le long de son trajet de dispersion. Les facteurs influençant les déplacements et l’installation des individus ne sont à ce jour pas identifiés, ce qui rend impossible la prévision de cette colonisation en termes de distance et de vitesse d’expansion.

M-L Schwoerer et P-E Briaudet / OFB