La détection de la reproduction des loups : une affaire de chance ou de patience ?

La détection de la reproduction des loups : une affaire de chance ou de patience ?

Suivre la reproduction chez le loup est un bon moyen pour connaître le statut d’un groupe de loup sur un territoire, c’est-à-dire si une meute est installée. Dans le jargon du suivi, quand un groupe de loup se sédentarise, on parle de « Zones de Présence Permanentes ».  Le nombre de ces zones est un des indicateurs de suivi de la population française.

Le loup vit en faible densité sur de grands espaces. L’ordre de grandeur en France de la taille d’un territoire d’une meute de 5/6 individus est de 250 km². Les animaux se déplacent beaucoup, plusieurs dizaines de km/24h et on comprend bien la difficulté pour les détecter et les suivre tout au long de l’année. La période d’élevage des jeunes loups représente une exception puisque pendant près de 4 mois, de juin à septembre, les louveteaux (régulièrement accompagnés des autres loups de la meute) utilisent des sites privilégiés que sont les tanières, puis les sites de « rendez-vous ».

Partant du principe que sur cette période une partie des individus du groupe social sont peu mobiles et restent fidèles à quelques sites sensibles privilégiés, plusieurs techniques, basées sur la capture d’image ou de son, plus ou moins invasives (potentiellement perturbatrices pour les animaux) et complexes sont déployées sur le terrain.

La découverte opportuniste : la découverte « par hasard » de louveteaux reste exceptionnelle mais possible, depuis la sortie de la tanière, l’observation sur les sites de rendez-vous, jusqu’aux premiers déplacements avec le groupe à l’automne.

Le piégeage photographique : technique en plein développement, principalement lié à l’évolution rapide des matériels disponibles sur le marché et de leur coût devenu plus accessible. Le principal avantage est qu’ils fonctionnent en continu et possiblement sur des périodes longues allant jusqu’à plusieurs semaines. Depuis quelques années, le délai de prise de vue (temps entre la détection de l’animal par l’appareil et la prise de vue) réduit (moins d’une seconde) et le mode vidéo, permet des prises de vue des animaux dans tous les types de situations : proies, déplacement, à distance sur site sensible, etc. Attention la pose des appareils est soumise à réglementation et en particulier à l’accord du propriétaire du terrain.   Dans tous les cas, la pose de ce type de matériel suppose la maîtrise du modèle de piège utilisé (optimisation des réglages) et surtout des habitudes de la meute sur le site. Pour cela, un travail de suivi terrain en amont s’avère souvent déterminant pour cerner le cœur du territoire du groupe, la possible installation de tanière et utilisation de sites de rendez-vous.

NB: Glissez votre souris vers la gauche pour visionner la deuxième photo

Louveteau en excursion le 14 août, effayé avant le passage d’un randonneur  © RN des Hts Plateaux du Vercors

Déplacement de la meute avec les louveteaux en octobre  © M Tronel / ONCFS

Louveteaux filmés le 25 juillet sur site de rendez-vous  © L Vidal

Louveteaux sur site de rendez vous à la mi septembre   © M Tronel / ONCFS

Le hurlement provoqué : technique de suivi historique, importée et adaptée à partir des suivis réalisés outre atlantique. Cette méthode, basée sur le réflexe territorial de réponse des loups à un hurlement imité par l’homme (enregistrement ci-dessous), est mise en œuvre depuis le début des années 2000 par le Réseau de suivi pour détecter la reproduction et ainsi identifier les meutes reproductrices françaises.  Elle permet, grâce à un dispositif technique simple, une prospection sur un vaste secteur. Dans certains cas, grâce à la présence simultanée de plusieurs équipes spécialisées sur le terrain, il est possible de différencier des meutes aux territoires adjacents, comme dans le contexte alpin français actuel.

De façon pratique, ce protocole est déployé au cours des mois d’août et septembre en France, sur les territoires où la présence de meute n’est pas encore connue. Cette période correspond à un stade de développement des louveteaux qui commencent à émettre des sons (jappements) avec suffisamment de puissance, mais ne maîtrisent pas encore le hurlement comme les adultes et sont ainsi détectables à l’oreille.

Rappelons que cette technique, potentiellement perturbatrice pour les animaux est utilisée dans le cadre d’un protocole de suivi scientifique restreint dans le temps et l’espace. Elle est réservée à des opérations encadrées et coordonnées par les services de l’Etat, du fait du statut d’espèce protégée du loup.

Une équipe terrain en train d’emettre un séquence d’hurlement © Réseau loup-lynx

Les enregistreurs autonomes (ou sonomètres) : technique en cours de développement et donc peu utilisée en France pour le moment, (thèse de Morgane PAPIN : « Apport de la bioacoustique pour le suivi d’une espèce discrète : le Loup gris (Canis lupus) » soutenue en 2018), qui consiste à disposer sur le terrain des dispositifs d’enregistrement non-sélectifs (tous les sons environnants sont enregistrés). Le principe est en quelques sortes équivalent aux pièges photographiques pour les sons. Les avantages (rayon d’action large, relevé en continu) et inconvénients (pannes/dégradations potentielles, non-sélectivité, fréquence de relève) sont ceux d’un système passif en place dans le milieu naturel.

Cette technique a été utilisée cet été par les équipes de suivi du loup en Suisse et a permis de détecter la présence d’une nouvelle meute dans le Chablais Valaisan (illustrations ci-dessous).

L’étude des sonogrammes (enregistrements des vocalises de la meute) pourrait de plus permettre d’estimer le nombre d’individus grâce aux techniques de bioacoustique, mais la méthode demeure encore complexe à mettre en œuvre à grande échelle.

Sonomètre en place sur le terrain © WLS.CH
Hurlement spontanée de la meute (11 août 2019) enregistrée par le sonomètre © WLS.CH

Le suivi des animaux marqués : Il s’agit là d’une méthode lourde et contraignante car elle nécessite la capture des animaux, en l’occurrence la femelle reproductrice ou futur reproductrice, ce qui n’est toujours le cas.  Lorsque ces opérations sont mises en œuvre sur le terrain, c’est pour répondre à des questionnements plus complexes en matière de connaissance sur la biologie ou le comportement de l’espèce.  Les animaux sont équipés d’un collier avec GPS/GSM qui permet de les localiser quasiment en temps réel.  Ainsi en France, 4 animaux ont successivement été équipés de la sorte entre 2009 et 2012 dans le cadre d’un programme basé sur le massif du Mercantour (06), visant à étudier l’impact de la prédation du loup sur ses proies.  Parmi les animaux marqués, deux étaient des femelles reproductrices de la meute et leur suivi a permis de connaître le statut reproducteur de l’individu ainsi que le recueil de données inédites sur la reproduction de l’espèce en France, comme les dates précises de mise-bas, les déplacements au sein du domaine vital (illustrations ci-dessous : attention pb de maj des légendes!!).

Référencesrevue Grande Faune n°144; revue Faune Sauvage n°306; article bulletin loup du Réseau n°26)

Aujourd’hui il n’y a plus de loup équipé de collier en France.

P-E Briaudet / ONCFS