La chasse au loup est-elle possible dans les zones où il est protégé ? : Le cas finlandais

La chasse au loup est-elle possible dans les zones où il est protégé ? : Le cas finlandais

 

La possibilité de chasse au loup n’est pas exclue par la Cour de Justice de l’Union Européenne, mais celle-ci fait une lecture extrêmement stricte des conditions pour y accéder.

En octobre dernier, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a rendu un arrêt intéressant, repris dans la presse internationale et la presse scientifique (Epstein et al 2019b, Trouwbort & Fleurke 2019). Les arrêts de la CJUE créent une jurisprudence et ont valeur de loi. Cet arrêt concerne la « chasse de gestion » ou « chasse de tolérance », c’est-à-dire les prélèvements de loups par la chasse visant à diminuer le braconnage (CJUE 2019).

Figure : Présence du loup en Finlande.

Légende : en Bleu : présence occasionnelle ; en Rouge : présence régulière ; encadré  Vert : Zone où la population de loups est classée en annexe V de la Directive Habitat Faune Flore, c’est à dire moins protégée que dans la zone classée en annexe IV (encadré orange) où le loup est strictement protégé. Adapté de Boitani & LCIE 2018 et Colpaert et al 2003.

La population finlandaise de loups est estimée à 275-310 individus, en sachant que cette estimation a fluctué ces dernières années (CJUE 2019). Au nord de la Finlande (encadré vert sur la figure ci-contre), sur la zone d’élevage des rennes, le loup est classé en annexe V de la Directive européenne Habitat Faune Flore (DHFF), c’est-à-dire qu’il peut être prélevé (chassé, piégé, etc., selon la réglementation du pays). Sur le reste du territoire finlandais, la population de loups est classée en annexe IV et est donc strictement protégée. Pour les populations d’espèces sauvages classées en annexe IV, la Directive Habitat Faune Flore prévoit quand même des possibilités de dérogations, en son article 16. Dans tous les cas, quelle que soit l’espèce et l’annexe, tous les Etats membres doivent s’assurer d’amener et de maintenir leurs populations d’espèces sauvages en état de conservation favorable (voir les articles 1 et 2 de la DHFF).

En 2015, le ministère finlandais de l’Agriculture et des Forêts a adopté un nouveau plan de gestion de la population de loups. Selon ce plan, il ressort que la gestion de la population des loups en Finlande est vouée à l’échec s’il n’est pas tenu compte des besoins des personnes qui vivent et travaillent sur les territoires des meutes. Dans cette optique, il est envisagé d’intervenir par la chasse également sur la population de loups au Sud du pays. Le plan de gestion finlandais prévoit de sélectionner en tant que cible le spécimen qui cause des dommages, et en cas de meute, de préférence un spécimen jeune de la meute, de sorte que les incidences probables sur la viabilité de la meute soient les plus réduites possibles. Les autorités finlandaises prévoient aussi que si les meutes et les spécimens subissent une mortalité avant le début de la chasse autorisée, ces dérogations seraient revues à la baisse. En application de ce plan de gestion, des dérogations de tirs de loups ont été accordés en 2015. Tapiola, une association finlandaise de protection de la Nature, a introduit des recours contre ces dérogations. En 2016, le tribunal administratif de Finlande orientale a déclaré irrecevables ces recours, au motif que Tapiola n’avait pas qualité à agir. En 2017, la Cour administrative suprême de Finlande a annulé les décisions du tribunal administratif de Finlande orientale et a posé à la CJUE des questions « préjudicielles », c’est-à-dire des questions dont les réponses permettront à la Cour administrative suprême de Finlande de juger ce cas en meilleure connaissance de l’interprétation du droit européen.

Il faut savoir que la pratique de la chasse au loup en Finlande hors de la zone d’élevage des rennes a déjà été questionnée car la Commission européenne avait saisi la CJUE en 2007 concernant cette pratique. La CJUE avait expliqué que la chasse d’une espèce protégée n’était pas inconcevable, mais que la République de Finlande avait manqué à ses obligations en autorisant la chasse au loup à titre préventif (pour prévenir des dommages aux propriétés humaines, article 16-1-b de la DHFF) sans qu’il soit établi qu’elle soit réellement de nature à prévenir ces dommages (CJUE 2019).

A présent, la Finlande avance davantage le prélèvement de spécimens précis, dans des conditions strictement contrôlées, d’une manière sélective et dans une mesure limitée (article 16-1-e de la DHFF).

Dans son arrêt du mois d’octobre, la CJUE rappelle la règle générale qui est que la DHFF s’oppose aux dérogations, en particulier la chasse de gestion, si tous les prérequis qui ouvrent droit à ces dérogations ne sont pas justifiés. C’est-à-dire que l’Etat membre doit montrer que les prélèvements n’éloignent pas la population de l’état de conservation favorable, et qu’il n’y a pas d’autre solution satisfaisante. Aussi, les conditions de prélèvements doivent être strictement contrôlées, les tirs doivent être sélectifs, et le nombre d’individus prélevés doit être limité. Une dérogation ne peut être que ponctuelle pour répondre à des exigences précises et à des situations spécifiques.

Ainsi, de façon plus précise, la CJUE indique les points suivants à la Cour suprême de Finlande :

– il faut que l’objectif poursuivi par les dérogations soit étayé de façon claire et précise. Il faut pouvoir établir au vu de données scientifiques rigoureuses que ces dérogations sont aptes à atteindre l’objectif, soit, dans le cas présent, la lutte contre le braconnage

– pour lutter contre le braconnage, il existe d’autres solutions. Il incombe à la Finlande de d’abord privilégier le contrôle strict et efficace du braconnage. La difficulté de mise en œuvre de ce contrôle ne peut pas constituer un argument suffisant

– concernant l’état de conservation de la population de loup finlandaise : 43 ou 44 loups ont été abattus en Finlande sur la base de dérogations au titre de la chasse de gestion au cours de l’année cynégétique 2015-2016, dont une moitié étaient des spécimens reproducteurs, sur une population comptant au total entre 275 et 310 spécimens au niveau national. Ainsi, la chasse de gestion aurait entraîné la mise à mort de près de 15 % de la population totale des loups en Finlande, dont de nombreux spécimens reproducteurs. D’autre part, le nombre annuel de prises illégales a été estimé par la Finlande à environ 30 spécimens. Cette chasse de gestion aboutirait donc à la mise à mort de 13 ou de 14 spécimens additionnels par rapport à ceux qui auraient, selon les estimations, succombé en raison du braconnage, entraînant ainsi un effet net négatif sur ladite population

– les dérogations doivent faire l’objet d’une évaluation de l’état de conservation des populations de l’espèce concernée ainsi que de l’impact que la dérogation envisagée est susceptible d’avoir sur cet état de conservation, au niveau local (infra territoire finlandais), au niveau du territoire finlandais ou, le cas échéant, au niveau de la région biogéographique visée si les frontières de la Finlande chevauchent plusieurs régions biogéographiques, ou encore, si l’aire de répartition naturelle de l’espèce l’exige et, dans la mesure du possible, sur le plan transfrontalier.

– conformément au principe de précaution consacré dans le Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE), si l’examen des meilleures données scientifiques disponibles laisse subsister une incertitude sur le point de savoir si une telle dérogation nuira ou non au maintien ou au rétablissement des populations d’une espèce menacée d’extinction dans un état de conservation favorable, l’État membre doit s’abstenir de l’adopter ou de la mettre en œuvre.

Il convient à présent de suivre comment la Cour suprême de Finlande va instruire ce cas. Quoi qu’il en soit, même si la chasse au loup n’est pas exclue par la CJUE, même pour des populations protégées, classées en Annexe IV de la DHFF, la CJUE réaffirme que les conditions à réunir s’avèrent extrêmement strictes. Cet arrêt vient renforcer dans le sens d’encore plus de rigueur les lectures qui avaient déjà été faites des arrêts CJUE précédents (voir par exemple Epstein 2017, Epstein et al 2019).

Bibliographie

Arrêt de la cour de justice de l’union européenne du 10 octobre 2019, C‑674/17, ECLI:EU:C:2019:851

Arrêt de la cour de justice de l’union européenne du 14 juin 2007, Commission/Finlande, C‑342/05, EU:C:2007:341

Boitani L., Large Carnivore Initiative for Europe. 2018. Canis lupus. The IUCN Red List of Threatened Species. See Geographic range/Geographic range in detail/Supplementary information

Colpaert A., Kumpula J., Nieminen M. 2003. Reindeer Pasture Biomass Assessment Using Satellite Remote Sensing. Arctic, Vol. 56, N° 2, p. 147–158

Directive Habitat Faune-Flore. Directive 92/43/CEE du Conseil concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages

Epstein Y. 2017. Killing wolves to save them ? Legal responses to ‘tolerance hunting’ in the European Union and United States. Review of European, Comparative & International Environmental Law. Vol. 26, Issue 1.

Epstein Y., Chapron G. The Hunting of Strictly Protected Species: The Tapiola Case and the Limits of Derogation under Article 16 of the Habitats Directive. 2018. 27 European Energy and Environmental Law Review, Issue 3, pp. 78–87

Epstein Y., Christiernsson A., Lopez-Bao J., Chapron G. 2019a. When is it legal to hunt strictly protected species in the European Union ? Conservation Science and Practice. 11 p.

Epstein Y., Lopez-Bao J., Trouwborst A., Chapron G. 2019b. EU Court: Science must justify future hunting. Science. Vol. 366 n°6468. P. 961.

Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne. 2012 /C 326/01. Version consolidée

Trouwborst A., Fleurke F. M. 2019. Killing Wolves Legally: Exploring the Scope for Lethal Wolf Management under European Nature Conservation Law. Journal of International Wildlife Law & Policy. DOI: 10.1080/13880292.2019.1686223

M. Guinot-Ghestem / ONCFS